Denis Robert : « Je ne me suis jamais auto-censuré »


Dans On débat
Pierrot Lespagnard

En janvier 2021, alors âgé de 62 ans, le journaliste d'investigation Denis Robert se lance le défi d’un média indépendant basé sur une économie du don : Blast, une plateforme d’information mêlant sujets d’actualité, enquêtes, culture, politique, économie… Trois ans plus tard, la chaine Youtube de Blast frôle le million d'abonnés. Le média compte 22.000 lecteurs payants, des milliers de donateurs et une quarantaine de travailleurs. Rencontre.

Denis Robert arbore un curriculum vitae hors norme. Journaliste passé par Actuel, le Rolling Stone français et Libération pendant douze ans. Puis devenu écrivain, réalisateur et producteur de documentaires, artiste... Une carrière que l’on ne résume pas en une page, dont l’un des épisodes marquant fut celui de l’affaire Clearstream, qui lui causera 10 ans de procédures judiciaires, une soixantaine de procès, de nombreuses procédures bâillons, un lynchage médiatique et une censure inédite. Après une défaite en première instance puis en appel, Il est blanchi en 2011 par la Cour de cassation pour son enquête sur la chambre de compensation luxembourgeoise, investigation désormais qualifiée de « sérieuse de bonne foi servant l’intérêt général ».

 

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Studiobus : Comment survit-on, seul, face à un empire comme Clearstream qui nous attaque pendant 10 ans ?

Denis Robert : J’ai toujours considéré que la vie était ailleurs. Il y a la littérature, les amis, les promenades en foret... Je trouve ces moments-là pour me ressourcer. Aujourd’hui, je suis victime de « hating » sur internet, mais j’ai beaucoup de recul par rapport à cela. J’ai résisté aux attaques de Clearstream, ce n’est pas pour qu’aujourd’hui, je sois sensible à ce qu’on me balance sur internet.

Lors de l’affaire Clearstream, pourquoi avez-vous été censuré par la presse ?

Clearstream et ses avocats instillaient dans les médias toutes sortes de choses fausses sur moi. Ensuite, la paresse des journalistes qui ne voulaient pas se lancer dans une histoire si compliquée. Et puis, parce que les intérêts des propriétaires des groupes de presse étaient contraires à ce que je dévoilais. À partir du moment où des plaintes étaient déposées à répétition contre moi, ça a fait peur à tout le monde, ça m’a complètement black-listé. J’ai du changer de stratégie et décidé de me taire, puis j’ai gagné, patiemment, devant les tribunaux.

En dehors de Clearstream, avez-vous déjà subi des pressions pour vous empêcher de publier des contenus ?

La censure, ça peut être un mec qui te téléphone et qui te dit de ne pas publier un papier mais, en général, c’est plus insidieux. Dans la majorité des cas, c’est de l’auto-censure du journaliste qui doit pouvoir crouter [sic]. J’ai toujours refusé ça, je ne me suis jamais auto-censuré, je n’aurais pas pu. Récemment, on a eu droit à un exemple caricatural chez Hanouna, quand celui-ci dit à Louis Boyard « ne mords pas la main qui te nourrit »...Bah si !

La précarité des journalistes ne rend-elle pas inévitable l’auto-censure ?

L’économie du journalisme fait qu’il faut un sacré courage pour être et rester journaliste. Sinon, tu deviens un gratte-papier, tu pisses de la copie à la demande. « Reworld » paye les journalistes au mot. On voit aussi apparaitre du journalisme fait par des intelligences artificielles. Les gens se nourrissent d’une bouillie médiatique. Il y a de moins en moins d’infos originales parce qu’il est très difficile pour un journaliste de résister à la force des lobbys et des influenceurs de chaque domaine, d’où l’importance des médias indépendants.

Que devrait-être un journaliste ?

Il doit être curieux, pugnace, avoir du recul par rapport aux informations qu’il traite, donner la parole aux personnes qu’il met en cause. Il n’est pas là pour sortir des scoops, mais pour comprendre. Quand on lui ment, il écrit. C’est un travail difficile quand on pense à remplir son frigo, d’où l’importance de créer des groupes financiers qui soient stables et qui permettent au journaliste de travailler.

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